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Série

Ils se reconvertissent comme développeurs, et adorent ça !

« Développeurs, les bâtisseurs de notre vie numérique », épisode 3/3.Du stylisme à l'archéologie, en passant par le sport, le code informatique construit notre monde. Loin de la passion isolée de quelques férus d'informatique, il attire désormais des profils de tous horizons. Exemples.

Le métier de développeur indépendant offre une grande flexibilité.
Le métier de développeur indépendant offre une grande flexibilité. (iStock)

Par Florent Vairet

Publié le 26 juin 2020 à 16:20Mis à jour le 29 juin 2020 à 11:31

Pierre et Elise étaient tous les deux en classe préparatoire aux grandes écoles de commerce. Dans la même classe. Leur objectif : sortir en tête des concours. Durant la dernière année, la compétition faisait rage. C'était à celui ou celle qui révisera le plus pour décrocher la meilleure école. Combat de cernes. Tous deux avaient des rêves, parfois préconçus, plein la tête. « J'avais le mythe de la personne qui bosse dans le commerce, qui gagne beaucoup de fric et qui saute d'un avion à l'autre », nous confie Elise. Et les deux ont réussi à intégrer le top 5 des écoles de commerce françaises.

Dix ans plus tard, l'une est développeuse pour une entreprise de la santé. L'autre exerce le même métier, mais en indépendant. Tous deux raffolent de leur job à tel point qu'ils donnent chacun des cours de code. Pierre a même publié plusieurs ouvrages dont « Apprendre à coder en HTML et CSS ».

Un revirement de situation que personne n'aurait pu imaginer sur les bancs de la classe prépa. « Aujourd'hui, j'adore développe, explique Elise. Coder, c'est résoudre un problème petit pas par petit pas pour construire une belle architecture. » La jeune femme ne regrette à aucun moment son choix. Quand on lui parle de ses années en école de commerce, elle se les rappelle avec dégoût. « Rien ne me plaisait, les cours étaient calamiteux. Une vraie déception », martèle-t-elle. « Aussi, je ne me sentais pas en phase avec les gens qui étaient là-bas. Beaucoup de fils à papa, frustrés de ne pas avoir eu HEC. J'avais le sentiment que c'était à celui ou celle qui frimerait le plus. » Et d'ironiser : « Je restais avec ceux qu'on pouvait surnommer les'Cas sociaux'. »

Une rupture conventionnelle plus tard, le voilà développeur

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Pierre, lui, se définit sans ironie comme un antisocial. « Je n'aimais pas les gens et surtout, je ne voulais pas être un esclave du système capitaliste avec son lot d'absurdités. Et comme je n'avais aucune intention de me battre contre ce système puisqu'il convient très bien à la majorité des gens, j'ai trouvé une porte de sortie avec le développement informatique », explique ce tout juste trentenaire. En 2014, il crée ses premiers cours justement pour se mettre le pied à l'étrier. Pour Elise, c'est à la faveur d'un stage en start-up qu'elle commence à s'initier au code.

Ce revirement de situation pourrait paraître atypique si le secteur du développement web n'en comptait pas à la pelle. Armel a lui aussi opéré un virage à 180 degrés. Depuis le confinement, il suit une formation de développeur à Bordeaux. Auparavant, il était archéologue. Son truc à lui, c'était la datation d'oeuvres d'art anciennes par le carbone 14 et la thermoluminescence. Autant dire, rien à voir avec le JavaScript ou le Python.

« J'ai changé car dans cette branche de l'archéologie, les postes sont extrêmement rares : soit on travaille dans la recherche et notre carrière est toute tracée, soit on change de laboratoire mais cela doit se faire à l'échelle mondiale car peu de personnes sont spécialisées en datation d'oeuvres. » Armel se retrouvait dans un marché du travail ultra-concurrentiel aux perspectives d'évolution limitées. Mais jusque-là, aucune raison de partir dans le développement web. « Plein de choses m'intéressaient et j'ai essayé d'être le plus logique possible. » Ses nouveaux critères sont aux antipodes de ceux qui régissaient son ancienne carrière : possibilité de multiplier les expériences, challenges réguliers et surtout, perspectives d'évolution. Une rupture conventionnelle plus tard, le voilà développeur.

Plus d'un développeur sur cinq n'a pas de diplôme

S'il y a une dizaine d'années, changer de cap pour choisir le code pouvait sembler marginal, le métier de développeur a désormais gagné ses lettres de noblesse. Il attire une multitude de profils, souvent en recherche d'un second souffle professionnel. D'après l'étude 2020 de Codingame, 35 % des développeurs sont autodidactes. A noter que 22 % n'ont aucun diplôme. Ces chiffres s'expliquent en partie par l'apparition relativement récente du métier. Son essor date du début des années 2000. Les développeurs de plus de 40 ans ont rarement appris le métier sur les bancs de la fac.

On pourrait aussi citer Niels, 45 ans. « Lors de mes études, je n'avais tout simplement pas connaissance de ce domaine », témoigne-t-il. A l'origine, ce passionné de rugby cherchait un développeur pour lancer son site internet sur lequel il voulait recenser tous les clubs de la planète. « Je n'ai jamais trouvé quelqu'un d'assez sérieux et dans mes moyens financiers. » Comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, il s'est mis à développer sa propre interface, jusqu'à ce qu'il se prenne au jeu et veuille en faire son métier.

Les reconversions fournissent ainsi des bataillons entiers de développeurs dont l'économie a amplement besoin. Stylisme, archéologie, commerce ou ingénierie, le métier recrute dans toutes les filières. Que viennent chercher des profils aussi éclectiques ? Le travail en équipe est une composante essentielle d'un projet de développement web, qu'il se réalise en présentiel ou à distance. Le recours systématique à l'ordinateur offre une flexibilité sans égale aux développeurs.

Pour Gabriela, nouvellement développeuse, le rêve du « digital nomad » a joué à plein. « J'adore voyager, partir à l'aventure. Quand on travaille en tant qu'indépendante, on peut télétravailler à plein temps de n'importe où », explique-t-elle. Mais cette liberté ne saurait suffire à se convaincre de s'engager dans une telle reconversion. Le métier est en perpétuelle transformation. Un nouveau langage informatique en chasse un autre. Les développeurs peuvent se former dans leur coin grâce à une multitude de moocs, gratuits comme payants. « Et on voit tout de suite les résultats de notre travail. On peut se fixer des objectifs chaque fois plus grands. C'est génial si on aime se surpasser », relève-t-elle. « C'est un défi constant, une grande source de motivation », ajoute Armel.

Une diversité de profils nécessaire

Reste que l'autoformation, en particulier quand il s'agit d'apprendre de but en blanc un langage informatique, peut effrayer. « Il y a certes une dimension scientifique, algorithmique, logique pour laquelle il faut de petites prédispositions, mais le plus important est la capacité d'apprentissage de langage. Une compétence qui se rapproche davantage du domaine littéraire », tient à nuancer l'ancien anthropologue. La preuve avec Gabriela, qui sans bagage scientifique, a réussi sans encombre sa transition professionnelle. Celle qui a dirigé durant plusieurs années une entreprise de robes de mariée sur-mesure a décidé il y a quelques mois de tout envoyer valser. Sans regrets. « A 40 ans, je venais de me marier, je voulais tout changer, y compris de rythme de vie, tout en continuant à faire quelque chose qui me passionne », précise-t-elle.

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Ses compétences acquises dans sa vie antérieure ne sont pas vaines, au contraire. « J'aime le code car je vois tout de suite le rendu, le côté visuel », témoigne-t-elle. « Ma fibre de styliste joue absolument. » Preuve s'il en fallait que le métier de développeur est en train de tordre le cou au cliché du geek associable et les cheveux gras, travaillant seul dans son coin. Seule ombre au tableau : le métier reste néanmoins très masculin. Les femmes seraient entre 12 % et 15 % selon les différentes études. « On construit le numérique que tout le monde utilise, la diversité est nécessaire dans ce métier », conclut Niels.

Florent Vairet

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