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Série

Les développeurs, nouvelle élite de la nation ?

« Développeurs, les bâtisseurs de notre vie numérique », épisode 2/3. Ils sont mieux payés, peuvent facilement télétravailler à 100 % et ne connaissent pas la crise, le chômage ou la précarité. Sur le marché de l'emploi, ils mènent (encore) la danse.

Ils sont mieux payés, peuvent facilement télétravailler à 100% et ne connaissent pas la crise, le chômage ou la précarité.
Ils sont mieux payés, peuvent facilement télétravailler à 100% et ne connaissent pas la crise, le chômage ou la précarité. (iStock)

Par Léa Taieb

Publié le 23 juin 2020 à 18:57Mis à jour le 29 juin 2020 à 11:30

« Après deux ans de CDI et des participations à des projets en open source, je recevais près de deux offres de job par jour », se souvient Jérémy Lempereur, aujourd'hui développeur free-lance. Aujourd'hui, alors que crise, chômage et dépression sont sur toutes les lèvres, les professionnels du code semblent préservés. « Il est clair qu'il y a un gap entre les métiers de l'informatique et les autres. Même dans ce contexte, on est dans une situation privilégiée : du jour au lendemain, on peut démissionner et retrouver un emploi dans la semaine qui suit », observe le trentenaire.

En pleine crise sanitaire, seulement 4 % des développeurs interrogés par la plateforme de recrutement CodinGame en avril avaient perdu leur job.

« Les développeurs - diplômés d'une école d'ingénieur ou d'informatique - sont conscients de leur chance, de cette sécurité de l'emploi qui leur est garantie », ajoute Laure Daougabel, coach tech chez Ignition Program. Précisons qu'en moyenne, un dév' est recruté en moins de deux semaines. « Si c'est trop long, le candidat va voir ailleurs », explique la recruteuse. En comparaison, un business developper, après quatre ou cinq entretiens, peut patienter un mois avant d'avoir une réponse.

Entreprises françaises recherchent développeurs désespérément

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Stagiaires, jeunes diplômés, seniors ou CTO (chief technology officer, ou directeur technique/informatique en français), sont sans cesse sollicités. Logique, quand on sait qu'en France, 50.000 postes de développeurs sont à pourvoir, assure Jean-Noël Houdu, cofondateur du cabinet de recrutement Mobiskill. Et cette demande est bien partie pour croître : d'après un rapport de 2019 la société d'analystes SlashData, dans dix ans, 45 millions de développeurs peupleront le monde (contre 19 millions aujourd'hui). Preuve en est : de plus en plus d'écoles ou de formations accélérées (Le Wagon, La Capsule , Ada Tech School ,…) se lancent pour répondre à cette pénurie de main-d'oeuvre qualifiée.

Evidemment, tous les développeurs ne sont pas sur un pied d'égalité, certains sont plus rares que d'autres. Certains sont des stars, des « game-changers », des surdoués du code que les entreprises cherchent à attirer et à retenir. En général, ces talents ont déjà plusieurs années d'expérience, maîtrisent plusieurs langages informatiques, à la page des dernières techno, et sont prêts à manager une équipe. « Ce sont les personnes qui peuvent prétendre au poste de CTO, qui sont aujourd'hui les plus privilégiées sur le marché du travail. Le rapport de force est clairement en leur faveur », informe Jean-Noël Houdu. Et les boîtes sont prêtes à payer cher pour s'offrir les meilleurs, et s'assurer une belle rentabilité.

Jusqu'à 40k€ par an en début de carrière

Pour séduire ces pépites, les entreprises jouent sur plusieurs paramètres. Le salaire en est un. « À poste équivalent, un développeur gagne 50 % de plus qu'un salarié non-tech », confie David, jeune diplômé de Centrale Paris, qui travaille pour une plateforme spécialisée dans les publicités ciblées sur internet. Et de poursuivre : « ces différences de salaires sont justifiées par la loi de l'offre et la demande. Ces profils sont plus difficiles à trouver, donc plus chers ».

Parmi les 20 métiers les plus rémunérateurs, cinq se situent dans le champ des compétences informatiques, selon l'Apec. Parmi eux, le spécialiste de la sécurité informatique émarge en moyenne 40.000 euros par an quand la médiane des jeunes diplômés bac+4/5 se situe à 35.000 euros . Après cinq ans, son salaire dépassera souvent les 60.000 euros par an. « À noter que plus le produit tech est au coeur du business, plus les salaires sont élevés », informe Laure Daougabel.

La France pas à la hauteur de la Silicon Valley ?

Très rapidement, un développeur progresse dans les missions qui lui sont attribuées et peut presque doubler son salaire. « S'il est déçu par son salaire, il préférera démissionner que négocier. Il n'a pas été formé pour vendre son savoir-faire », assure la chasseuse de têtes.

Ces niveaux de rémunération, bien qu'élevés, font pâle figure quand on compare avec les salaires proposés dans la Silicon Valley. « Certains sont payés 400.000 euros par an. En France, même si des boîtes galèrent à recruter, elles ne débourseront jamais plus de 100.000 euros pour s'offrir un talent. Les entreprises ne veulent pas creuser un fossé entre les salariés », explique le cofondateur de Mobiskill.

Alors, plutôt que de traverser l'Atlantique, certains préfèrent jouer un rôle dans la construction d'une boîte dans l'espoir d'occuper un jour le poste de CTO. Avec un peu de chance et de flair, ils peuvent miser sur le bon cheval, la startup qui va casser la baraque et les rendre riches. Mais, le salaire n'est pas le seul élément séparant les développeurs du reste du monde. Ils sont aussi souvent les plus favorisés en termes de part dans le capital des startups. Dans certaines entreprises, seuls le CTO et les lead dev' ont droit à un pourcentage. « Souvent, on attribue des parts aux personnes arrivées au démarrage de la startup, souvent ce sont les développeurs qui ont développé le produit. On les récompense surtout du risque qu'elles ont pris en ayant confiance en l'avenir », précise Geoffrey Laird, le fondateur de la jeune pousse Fygr.

Tous potentiels « digital nomades »

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D'après plusieurs cabinets de recrutement, avant d'accepter une offre, les développeurs s'intéressent aussi beaucoup à la culture de l'entreprise et aux libertés qui leur sont accordées. « Le mode de management type Alan : zéro réunion, zéro hiérarchie, zéro contrainte au niveau du temps et de l'espace de travail, les séduit particulièrement », relève Romain Renard à la tête de la startup Meditect. Et d'ajouter : « Nous, on met à disposition de nos salariés, trois bureaux : un à Paris, un à Bordeaux et un à Abidjan ». Résultat : zéro départ depuis la création de l'entreprise en 2018.

Plus que la rémunération, le « full remote » (travail à distance) peut véritablement être un argument de négociation, au moment d'un entretien. D'autant que ce droit à télétravailler bénéficie plus à cette catégorie de travailleurs qu'à la majorité. Déjà parce qu'il est plus difficile de superviser leur travail, « nos supérieurs ne comprennent pas toujours ce sur quoi on bosse et c'est à nous d'estimer le temps nécessaire pour mener à bien un projet. On n'a pas autant de deadlines à respecter comparé à nos collègues account manager ou customer success manager. On n'a pas moins de pression pour autant », confie Victor Sage.

Et le sens de leur mission dans tout ça ?

Les zéros sur la fiche de salaire à la fin du mois ou à la fin de l'année ne sont pas le seul moteur, les développeurs sont aussi de plus en plus nombreux à se préoccuper de l'utilité sociale de l'entreprise et à ne plus se satisfaire d'un baby foot ou d'une PS4. « Je n'ai aucun mal à attirer les talents, déjà convaincus du bien-fondé de l'entreprise », observe Romain Renard, cofondateur de Meditect, qui étudie notamment la traçabilité des médicaments en Afrique subsaharienne. D'après Jean-Noël Houdu du cabinet Mobiskill, l'ESS (l'entreprenariat social et solidaire) est l'un des secteurs qui attire le plus les développeurs en quête d'impact. « Ils sont même prêts à perdre entre 4.000 et 5.000 euros par an pour une entreprise avec une vraie raison d'être », confirme-t-il.

Lire aussi :

Série « Développeurs, les bâtisseurs de notre vie numérique », Retrouvez notre épisode 1 : Devenir développeur en quelques mois, la promesse risquée des écoles de code

Et notre épisode 3 : Ils se reconvertissent comme développeurs, et adorent ça !

Léa Taieb

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