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High-Tech

Le Next40, vitrine de la tech française, a été choisi sur des critères discutables

En privilégiant les levées de fonds, le gouvernement a cautionné, pour bâtir son indice Next40, un modèle unique de développement, celui de l’hypercroissance. Au détriment de champions plus discrets qui ont opté pour une croissance rentable. Et en laissant de côté les pépites de la santé.

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Le secrétaire d'Etat au numérique Cédric O, le 11 septembre 2019 à Paris

Cédric O, secrétaire d'Etat au numérique, a dévoilé le 18 septembre la liste du Next40. 

AFP/Archives - LUDOVIC MARIN

Mettre en avant les start-up les plus innovantes et les plus ambitieuses : si l’ambition du gouvernement est louable, les critères choisis pour constituer cette "vitrine de la tech française" sont réducteurs. Ces filtres laissent de côté des pépites ayant choisi d’autres modèles de croissance : les start-up rentables, qui se développent sans procéder à des levées de fonds massives et les biotechs, qui ne génèrent généralement pas de chiffre d’affaires pendant des années.

Pour faire partie de la "vitrine des start-up françaises" – un label qui apportera aux 40 heureux élus une reconnaissance internationale mais aussi un soutien des autorités publiques, il fallait réunir trois conditions : avoir levé au moins 100 millions d’euros au cours des trois dernières années, afficher au moins 5 millions de chiffre d’affaires lors du dernier exercice et une croissance annuelle moyenne d’au moins 30%.

Point de salut hors de l'hypercroissance ? 

Hors des levées de fonds massives, point de salut ? C’est en creux le message envoyé aux entrepreneurs français par Bercy. "En défendant le modèle unique de l’hypercroissance, on adopte un modèle importé de la Silicon Valley. A croire qu’il serait inacceptable de bâtir une entreprise qui ne soit pas hautement capitalistique", déplore Aude Barral, cofondatrice de CodinGame, un éditeur de logiciels ayant choisi, lui, de croître sans lever d’argent.

Ce choix exclut mécaniquement de la liste les pépites tech qui n’ont pas eu besoin de procéder à des levées de fonds massives. C’est par exemple le cas d’Ogury, une pépite tech, rentable depuis sa première année. Elue scale-up de l’année par CroissancePlus, KPMG et Gide, la jeune entreprise, forte de 400 salariés, vise les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Elle ne figure pas au classement parce qu’elle a eu le tort de s’autofinancer – exception faite d’une augmentation de capital réalisée en 2016, davantage par "confort" que par nécessité, selon les mots de son fondateur Jean Canzoneri.

Oubliés Happn, Qwant, Lydia, Petit Bambou...

Oubliés aussi Happn et ses 70 millions d’utilisateurs. Indépendant, rentable, mondial, le Tinder français n’a pas réalisé de levée de fonds importante au cours des trois dernières années. Ecarté, le champion du poker en ligne Winamax, qui a pourtant réalisé 232 millions de chiffre d’affaires en 2018 et s’est lancé à la conquête de l’Europe. Délaissé, le moteur de recherche Qwant, seule alternative européenne à Google. Absentes, les fintech Lydia et Bankin, malgré leur succès d’adoption (un million d’utilisateurs européens pour la première, trois millions pour la seconde). Evincée, l’appli de méditation Petit Bambou, rentable dès sa première année, qui a conquis 3,5 millions d’utilisateurs et autofinance sa croissance. 

L’accent mis sur les levées de fonds explique aussi la présence de la plateforme de photographes Meero – qui a levé la somme record de 200 millions de dollars au printemps – et l’absence de son principal concurrent, le français Ocus. En termes de développement, le numéro deux mondial n’a pourtant pas à rougir vis-à-vis du très médiatisé Meero : présente dans 120 pays, Ocus a fédéré en trois années d’existence 20.000 photographes et vidéastes. La plateforme travaille pour des grands comptes comme Uber, Deliveroo, Nexity....

Les critères de sélection du Next40 excluent aussi d’office toutes les participations accompagnées par le fonds Keensight. Cet acteur financier original – qui, sur ses excellentes performances, vient de lever un fonds d’1 milliard d’euros - a pris le parti de ne financer que des entreprises technologiques rentables. Des champions discrets, généralement leaders mondiaux dans leur domaine. Le fonds accompagne entre autres le leader européen des logiciels de trading SmartTrade (180 salariés, 31 millions de chiffre d’affaires), les spécialistes de la cybersécurité i-Tracing (150 salariés, 28 millions de chiffre d’affaires) et la plateforme logicielle spécialiste de l’intérim Pixid (25 millions d’euros de chiffre d’affaires). Aucune d’elles ne figure dans l’index.

Les biotechs, grandes absentes de l'indice 

Quant au critère de chiffre d’affaires (5 millions d’euros au minimum), il exclut mécaniquement toutes les pépites de la santé, les "biotechs". On peut notamment déplorer l’absence de DNA Script, l’une des entreprises les plus avancées au monde dans la fabrication d’ADN synthétique, celle du laboratoire Hemarina, dont le produit, issu d'un ver marin, améliore la conservation des greffons, de Cardiologs, l’expert de l’analyse des électrocardiogrammes, celle d’Eligo Bioscience, qui développe des antibiotiques de nouvelle génération, ou encore d’Owkin, qui utilise l’intelligence artificielle pour améliorer le traitement du cancer… Sachant l’explosion des besoins de santé dans le monde et le potentiel de valorisation des biotechs, leur exclusion semble pour le moins étonnante. Se souvient-on qu’Actelion, la plus belle réussite européenne, valait 30 milliards de dollars lorsqu’elle a été rachetée par le géant américain Johnson & Johnson ?

Quant au modèle de l’hypercroissance défendu et affiché par Bercy, il comporte de sérieux risques – parfaitement assumés par les fonds de capital-risque, qui financent ce type d’entreprises. "Sur les 40 sociétés de l’indice, si cinq survivent encore dans dix ans, ce sera déjà une bonne chose", souffle un investisseur. "Quand on brandit l’étendard de l’hypercroissance, il faut s'attendre à des dégâts collatéraux, à commencer pour les entrepreneurs eux-mêmes qui ont très peu de marge de croissance en termes de gouvernance", ajoute Aude Barral, de CodinGame. Une semaine après la publication de l’indice, une polémique touche déjà l’une des start-up les mieux capitalisées du Next40 : malgré les 100 millions d’euros qu’il a levés, Wynd ne tiendrait pas ses promesses commerciales - selon des allégations à ce jour non vérifiées.

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