[Covid-19] Comment ne pas sacrifier une génération de jeunes diplômés

Quelque 740 000 jeunes entrent sur le marché du travail cet automne. Pour qu’ils ne s’ajoutent pas aux nombreux moins de 25 ans déjà au chômage, l’État aidera les entreprises qui les recruteront.

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[Covid-19] Comment ne pas sacrifier une génération de jeunes diplômés
La crise économique et sanitaire complique l'insertion professionnelle des jeunes, notamment des moins diplômés.

Au premier semestre 2020, les offres d’emploi pour jeunes diplômés ont chuté de 41 % par rapport au même semestre de 2019, montre l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). Elles ont été divisées par deux dans l’industrie et pour les fonctions informatiques, études, R & D. Les jeunes dont les CDD et contrats d’intérim se sont interrompus ont largement alimenté la hausse du chômage. Et cet automne, 740 000 jeunes sortiront de formation initiale pour entrer sur le marché du travail. Comment éviter qu’ils ne rejoignent les moins de 25 ans déjà au chômage au premier semestre ?

Autres signaux : "Nous recevons cinq à dix fois plus de candidatures par poste qu’auparavant ", témoigne Aude Barral, la cofondatrice de CodinGame, start-up spécialisée dans le recrutement de développeurs. L’association NQT, qui met les jeunes diplômés de niveau bac + 3 issus de quartiers fragiles ou de milieux modestes en contact avec des marraines et parrains en entreprise, a vu exploser ses inscriptions en juin, à 1 400, contre 800 lors du précédent record mensuel. "NQT est un baromètre du caractère anxiogène de la situation", relève Sam Blakaj, son directeur du développement. "Le taux de chômage des jeunes est celui qui réagit avec le plus d’amplitude aux cycles économiques, analyse Vladimir Passeron, chef du département emploi et revenus d’activité à l’Insee. En cas de crise, les jeunes, en phase d’insertion, sortent les premiers de l’emploi, soit parce qu’ils n’en trouvent pas, soit parce qu’ils occupent des emplois à durée déterminée."

Plus difficile pour les moins qualifiés

Mais la jeunesse n’est pas uniforme. "Le choc va comme d’habitude accentuer les tendances générales. Les différences entre les diplômés et les peu ou pas diplômés vont se creuser", prévient Dominique Épiphane, du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq). Les études du Cereq montrent qu’en période de crise, les diplômés du supérieur rencontrent peu de difficultés à décrocher un emploi, mais il est de qualité moindre par rapport à ce qu’ils espéraient, notamment en termes de salaire. Le jeu de l’offre et de la demande ne leur est plus favorable. Pierre Lamblin, le directeur des études de l’Apec, prévoit "un embouteillage de profils juniors à l’automne, les diplômés de 2020 croisant ceux de 2019 pas encore insérés et les jeunes cadres sortant de CDD, qui se feront concurrence". Les moins diplômés, eux, risquent d’attendre encore plus longtemps que d’habitude un emploi, qui sera encore plus souvent à durée déterminée. "Cette génération sera en difficulté. Ce sera plus long, mais elle finira par rattraper ses aînés", veut rassurer Dominique Épiphane.

La crise de 2020 présente une spécificité par rapport aux précédentes : l’effet sectoriel y est beaucoup plus fort. "Certains secteurs sont touchés de façon temporaire et vont retrouver leur niveau antérieur assez vite, assure Vladimir Passeron. D’autres, comme le transport aérien, la fabrication de matériel de transport, le tourisme, la culture, sont touchés de façon durable, et il est très difficile de savoir quand ils repartiront."

Peu touchés par la crise, les secteurs de la chimie et de la pharma resteront pourvoyeurs d'emplois pour les jeunes diplômés - Photo Pascal Guittet

D’importants secteurs d’accueil de jeunes, comme l’hôtellerie-restauration, le commerce, les transports, sont parmi les plus touchés. Florent Roger, manager senior de la division industrie et ingénierie du cabinet de recrutement Hays, identifie parmi les secteurs industriels qui ont continué à produire et sont moins atteints l’agroalimentaire et ses fournisseurs (packaging, cartonnerie…), la chimie, la pharmacie et les cosmétiques. "En revanche, l’aéronautique, l’automobile, les machines spéciales et la métallurgie dans son ensemble sont complètement à l’arrêt. Les entreprises n’ont parfois pas de visibilité à plus de deux semaines !" Même à l’intérieur d’une branche comme la plasturgie, les situations varient fortement. "C’est compliqué dans l’aéronautique et le nautisme, mais plus gérable dans d’autres secteurs, précise Aurélie Bruder, responsable Formation à la fédération de la plasturgie et des composites. Nos entreprises sont majoritairement des sous-traitants et leurs clients n’ont pas de visibilité. Tout le monde attend septembre, les recrutements sont gelés. Du côté de l’apprentissage, les entreprises sont frileuses. Elles ne veulent pas s’engager pour deux ou trois ans."

L’âge d’or du numérique à l’arrêt

Les prestataires de services aux entreprises sont très touchés, leurs clients ayant rapidement suspendu les prestations externes. À la mi-juillet, le taux d’activité des entreprises représentées par la fédération Syntec (numérique, ingénierie, conseil…) plafonnait à 75 %. Les plus ralenties étaient celles de l’ingénierie et du conseil en technologies, dont beaucoup travaillent pour l’aéronautique et l’automobile. "Les licenciements ont commencé, et on craint un impact beaucoup plus fort au deuxième semestre 2020 et au premier de 2021, quand les clients rendront leurs arbitrages, pronostique Matthieu Rosy, le délégué général de la fédération. On n’a aucune visibilité sur les embauches de jeunes diplômés."

Pour les futurs alternants aussi, les postes se feront rares : "La moitié seulement de nos entreprises pense conserver le même nombre d’apprentis que prévu, et encore, si l’activité reprend à l’automne." Matthieu Rosy craint deux conséquences : "Les jeunes qui n’entrent pas rapidement sur le marché du travail vont perdre en employabilité si leurs compétences technologiques ne sont pas mises à jour. Mais surtout, ils risquent de s’expatrier et on les perdra durablement." Même les développeurs commencent à avoir des sueurs froides. "Les freelanceurs expérimentés se replient sur des emplois salariés. Les entreprises les recrutent en priorité et les juniors ne sont pas les mieux positionnés, souligne Aude Barral. Et l’inflation salariale est gelée. Un véritable retournement du “golden age” des développeurs…"

Quelle stratégie vont adopter les jeunes ? "En période de crise, beaucoup modifient leur comportement en retardant leur entrée sur le marché du travail, indique Vladimir Passeron. Ceux qui le peuvent poursuivent leurs études." Surtout quand on leur dit qu’un diplôme reste le meilleur garant d’une insertion réussie. Florent Roger remarque que beaucoup d’entreprises remplacent les jeunes diplômés par des alternants. "L’alternance est une bonne solution pour ceux qui veulent faire une année d’études supplémentaire. Cela leur donne de l’expérience et finance leur formation", commente-t-il.

Prolonger ses études

Le Cnam a fait campagne cet été auprès des étudiants sortant de BTS pour qu’ils prolongent leurs études d’un an, en préparant l’une de ses trois licences en alternance. NQT promeut aussi cette solution auprès des bac + 3 de milieux modestes. "L’alternance est la meilleure façon de se former et d’acquérir les codes de l’entreprise, et une bonne voie quand on n’a pas de moyens, argumente Sam Blakaj. Ceux qui ont une licence peuvent faire un master en alternance, et ceux qui ont un master peu vendable peuvent refaire une année de master 2 en alternance dans un domaine plus reconnu par les entreprises." Classiquement, les jeunes vont aussi accepter des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Ce n’est pas grave s’ils en sortent vite, assurent les professionnels du recrutement. Mais ils prennent la place de ceux qui se destinaient à ces postes avec des diplômes inférieurs, ce qui creuse les inégalités.

À la fin juillet, le gouvernement a présenté son plan de soutien à la jeunesse, d’un montant de 6,5 milliards d’euros. Mesure phare : une aide de 1 000 euros par trimestre sera versée aux entreprises qui embaucheront, en CDI ou en CDD de plus de trois mois, un salarié de moins de 25 ans rémunéré jusqu’à deux smic. Un montant élevé, comme l’avaient réclamé les organisations patronales, qui couvre la quasi-totalité des recrutements de jeunes. Pour que le choc soit immédiat, les embauches devront se faire entre le début août et la fin janvier. L’aide sera versée pendant un an, elle atteindra donc 4 000 euros par jeune recruté. Par ailleurs, une entreprise qui recrutera un apprenti touchera 5 000 euros s’il est mineur, 8 000 s’il est majeur.

Un sérieux coup de pouce pour les jeunes, mais aussi une bonne nouvelle pour les entreprises, qui ne peuvent pas rester durablement sans intégrer de nouvelles compétences, alors que les départs à la retraite vont être massifs dans l’industrie. Olivier Hérout, le DRH adjoint d’Engie, le rappelle : "On a besoin de préparer l’avenir, dans un contexte où les métiers se transforment, avec le digital, les enjeux climatiques, les nouvelles attentes de nos clients."

Directeur du CFA Technopolys, spécialisé dans les métiers de l’automobile en Savoie, Dominique Badet essaie de convaincre les PME de maintenir le recrutement d’apprentis : "Si elles ne font pas cet investissement pour l’avenir, elles risquent de se retrouver avec une pénurie de main-d’œuvre dans deux ans." Responsable Ile-de-France et industrie du cabinet de recrutement Expectra (Randstad), Nathalie Sylvestre pousse les profils juniors auprès de ses clients. "D’une part, il y a moins de candidats expérimentés sur le marché parce qu’ils ne veulent pas quitter leur entreprise en ce moment. D’autre part, avec la crise, les entreprises ont compris qu’elles devaient accélérer leur transformation. Or, les jeunes maîtrisent les nouvelles technologies, les langues, s’intègrent facilement. Les embaucher est un pari sur l’avenir pour les entreprises si elles veulent rester dans la course."

Mohamed Rabah Ait Malek, étudiant en master 2 hydrogéologie, hydrologie et sols, université de Paris-Saclay

"Je suis en dernière année de master d’hydrologie, sites et sols pollués à l’université de Paris-Saclay. Je venais de démarrer un stage de six mois chez Aéroports de Paris quand le confinement a démarré. Mon stage a été interrompu et n’a jamais repris. L’université propose aux étudiants de présenter un projet bibliographique pour valider le master, mais un stage, c’est une chance d’être embauché par l’entreprise dans laquelle on est, et j’ai perdu cette chance. C’est aussi une expérience professionnelle, pour trouver un emploi, et je ne l’aurai pas. Alors je continue à chercher un stage, mais en plein été, personne ne me répond. En plus, depuis mars, j’ai perdu ma rémunération de stagiaire. Surtout, je suis algérien et mon document de séjour expire en février. Tous mes plans, mes projets de vie, ont disparu."

 

Fanny Étienne, docteure en neurosciences, Sorbonne Université, Paris

"Après ma thèse en neurosciences, soutenue en juin, je devais m’envoler pour la Californie, pour un post-doctorat dans un laboratoire de recherche de l’université de Los Angeles (Ucla). Un contrat de travail de trois ans, qui peut être prolongé pour durer jusqu’à cinq ans. Mais je suis bloquée en France par la fermeture des frontières entre l’Union européenne et les États-Unis. Renoncer à ce laboratoire, avec lequel je suis en contact depuis un an, serait un crève-cœur. J’ai commencé à travailler avec lui à distance, sans contrat ni rémunération, pour préparer mon projet de recherche et ne pas perdre de temps quand j’arriverai. J’attends aussi une réponse à une demande de bourse pour 2021. Si je n’arrive pas à aller aux États-Unis, je m’inscrirai à un autre post-doc, en Europe. Je garde espoir, c’est retardé, mais ça se fera. La recherche internationale ne peut pas rester bloquée trop longtemps...."

 

 

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